Le salarié de la discorde, La France Agricole employeur

A la suite du départ à la retraite de Guy, son fils Antoine, sa fille, Justine et son gendre, Julien, ont décidé de reprendre ses exploitations. Parmi les pierres d’achoppement : le chef de culture embauché naguère par le père. Durant quatre mois, Stéphanie Heurtaut, fondatrice d’Optim’Conseil, les a accompagnés, et aidés à redéfinir les responsabilités au sein de leur nouvelle organisation.

Stéphanie Heurtaut a créé en 2013 Optim’conseil, une entreprise de conseil en organisation, et amélioration de la performance des entreprises. Issue du milieu agricole, fille et femme d’agriculteur, elle accompagne notamment les exploitants qui souhaitent s’associer ou qui le sont déjà, mais dont le but est de mieux travailler ensemble.

A travers un cas d’école, elle livre les clés pour parvenir à mieux s’organiser entre associés et salariés.

La famille

Guy, le père

La fille, Justine, est mariée avec Julien.

Le fils, Antoine.

La situation 

Justine, Antoine, ainsi que Julien sont intéressés par reprendre l’une des deux exploitations spécialisées en grandes cultures, de Guy. Julien, le mari, possède déjà sa propre exploitation, également spécialisée en grandes cultures.

Leur objectif est que Julien, le gendre, s’occupe de la conduite technique des trois exploitations, et le fils, Antoine, du volet administratif. Justine participe à toutes les prises de décision. Il est prévu que le matériel soit mis en commun, ainsi que les salariés. Sur ce dernier point, en plus de salariés occasionnels, Guy emploie un chef de culture, très autonome.

La famille souhaite être accompagnée dans cette nouvelle association et fait appel à Stéphanie Heurtaut. Leur volonté est que l’organisation entre eux soit clairement définie dès le départ.

Clé 1: Prendre le temps de déceler les objectifs communs à tous

Au cours d’entretiens individuels, Stéphanie Heurtaut rencontre pendant deux heures chaque membre de la famille, afin de connaître leurs objectifs personnels.

Puis, vient l’étape de restitution au cours d’un premier rendez-vous collectif, durant une demi-journée. L’objectif est de parvenir à dégager des objectifs communs pour la nouvelle association. 

Sur la nouvelle organisation

« Sur le premier rendez-vous, tout le monde était d’accord sur la nouvelle organisation. Certains m’ont appelée ensuite pour me faire part de leurs inquiétudes. J’ai compris alors que l’association n’était pas si simple ». Globalement, chacun craint la main mise de l’autre sur l’ensemble des trois exploitations. « J’ai compris qu’ils n’avaient pas toujours la même façon de voir les choses, constate Stéphanie Heurtaut. L’enjeu est double dans leur cas. On parle de rapports professionnels, mais aussi familiaux. Il était indispensable qu’ils arrivent à un consensus, pour la famille et pour le travail ».

« Nous avons alors travaillé à trouver un consensus ».

Clé 2 : tout se dire.

Face à la situation, le gendre, Julien, tente de trouver une solution équitable : « Pour ne léser personne, il propose que telle machine effectue les chantiers de la ferme A, puis la ferme B, puis la C en année 1, puis de B à C à A en année 2, etc. « C’était un raisonnement purement mathématique. J’ai alors demandé à Julien : « si la structure rassemblant les trois exploitations était la vôtre, comment feriez-vous ? ». Son raisonnement a alors changé : « Je regarderai en fonction de l’avancée des cultures, du temps … », m’a-t-il répondu. Pour éviter les problèmes, il proposait une solution qui lui paraissait équitable, mais au fond inadaptée ».

La famille a finalement trouvé un consensus sur la deuxième proposition d’organisation de Julien. « Ca a d’un coup semblé logique à tout le monde ». Il était nécessaire que Julien, à la manœuvre sur tous les travaux, ait les coudées franches. Guy a fini par lui faire confiance, et par se retirer complètement.

Clé 3: bien définir les rôles et les responsabilités de chacun. Le mieux, les écrire sur un document qui tient lieu de règlement intérieur. « C’est un motif de friction récurrent ».

Clé 4 : se voir régulièrement pour faire le point sur les chantiers, et les responsabilités de chacun, associé comme salarié, « même si on a beaucoup de boulot. Il est important de se voir au moins durant une heure par semaine, avec un ordre du jour. »

Sur les salariés

L’autre souci rencontré par la famille venait du chef de culture que Guy avait embauché. Il l’appelait « mon second » : très autonome, le chef de culture s’occupait de tout, « il rendait des comptes chaque matin à Guy, mais il avait globalement toute la liberté de décider de son organisation ». Depuis que ses enfants sont associés, Guy observe que Julien ne laisse pas assez de place à ce chef de culture avec qui il a développé des relations amicales. C’est que Julien, à la conduite, s’occupe en effet lui-même des cultures. « Par rapport aux rôles et responsabilités, tout était redéfini. Julien décidait de l’organisation. Ce qui ne pouvait plus convenir au chef de culture».

« J’ai alors rencontré le chef de culture et j’ai revu le gendre, explique Stéphanie Heurtaut. On n’était plus sur le sujet de l’association, mais comment faire pour bien travailler avec ce salarié. Guy comme Antoine, son fils, espéraient  que ce salarié reste, ils avaient de très bons rapports avec lui, et une grande confiance, ils ne voulaient pas le voir partir. Sauf qu’avec l’arrivée de Julien, les cartes étaient redistribuées ».

Lors d’un entretien individuel, le salarié a d’emblée expliqué à Stéphanie Heurtaut qu’il y avait 80% de chance pour qu’il s’en aille. « Ce n’était pas un problème de mauvais rapports, m’a-t-il justifié. Le différend ne relevait pas d’une histoire de personne mais bien de situation. Je lui ai demandé ce qui pouvait le faire rester: « Qu’on me laisse de l’autonomie comme avant ! », a-t-il rétorqué. Et cela, ça n’était plus possible ». Le chef de culture est finalement parti. La famille a alors redéfini ses besoins en matière de main d’oeuvre.

Clé 5 : trouver la bonne personne par rapport à la situation.

« Ils n’avaient plus besoin de quelqu’un d’aussi autonome. Nous avons redéfini le poste et rédigé leur annonce en fonction, poursuit Stéphanie Heurtaut. Il est important de ne pas se précipiter et de recruter la personne dont ils ont réellement besoin ».

Pour la famille, cela semblait compliqué au départ de recruter : elle aurait donc préféré garder le chef de culture, même si la situation ne correspondait plus. « Mais en général, ça ne satisfait personne, et le salarié ne reste pas ».

La famille a finalement recruté un salarié plus adapté, à savoir moins qualifié, et avec un salaire moindre. Leur organisation est aujourd’hui une réussite, et tous les membres de la famille continuent à déjeuner ensemble le dimanche…

Le processus global peut durer entre trois et six mois, selon les situations. Dans ce cas précis, Stéphanie Heurtaut est intervenue à deux reprises. L’accompagnement a duré environ quatre mois, « avec des rendez-vous organisés tous les quinze jours par demie journée ».

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